mercredi 6 avril 2016

L’art de saucer : le poulet rôti au diable


C’est un de ces jolis livres de la collection Mise en appétit de l’Epure. Il a trouvé sa place tout naturellement sur la pile de mes livres de chevets, entre deux polars et un roman de SF. Je n’ai pas l’habitude d’emporter au lit mes livres de cuisine, mais celui-ci se dévore comme un roman.

N’en déplaise aux ayatollahs de la bienséance, qui voudraient nous interdire de saucer comme il se doit notre assiette en société, Mayalen Zubillaga nous écrit dans l’art de saucer une ode au trempage gourmand, au pain imbibé d’huile d’olive, à la mouillette,  aux crêpes gorgées de miel et de fleur d’oranger, en bref à toutes les sauces et aux divers moyens utilisés pour en capter jusqu’à la dernière goutte. Avec l’humour et l’intelligence sans arrogance qui la caractérisent, elle nous transmet, par petites touches, le gai savoir de ses traditions gourmandes, méditerranéennes, pyrénéennes et voyageuses. On s’y laisse entrainer, le sourire aux lèvres. Et on en redemande. 

A offrir et à s’offrir.

Mais je la laisse parler :




«Côté terre, la moitié de mon ADN vient des montagnes pyrénéennes, où, par un heureux déterminisme, naquit le roi préféré des sauceurs – comment ne pas avoir d’affection pour Henri IV, seul chef d’Etat ayant érigé, avec la poule au pot, une recette de cuisine en guise de slogan politique ? […]
Mais le plat le plus attaché à la Bigorre de mon enfance n’a rien d’exclusivement régional : il s’agit du poulet locavore – distance entre la maison et le poulailler : quinze mètres – que notre douce et généreuse grand-mère Jeanne faisait rôtir chaque fois que nous lui rendions visite. Elle le préparait dans une cocotte ordinaire, sur le feu et non dans le four, à vue d’œil et de nez. De l’huile achetée chez l’épicier au bout de la rue, quelques gousses d’ail, du thym du jardin, et zou : chef-d’œuvre. 
Malgré de longues heures pour essayer de percer Le grand secret d’une cuisson toujours impeccable, j’ai pour ma part longuement échoué à mitonner un poulet moelleux, doré et parfumé. La seule méthode m’assurant désormais un résultat constant, quels que soient le mode d’élevage de la bête, sa taille ou la précision du four, c’est la cuisson dans une brique en terre. Celle-ci permet par ailleurs d’extorquer au poulet un jus abondant qui se sauce directement dans le plat, puis à table dans le bol faisant office de saucière (en disant « ça ne se fait pas mais…slurp scrunch scrotch ») et enfin dans l’assiette. En bonus, Jeanne farcissait le poulet, avant de le cuire, de morceaux de pain rassis frottés à l’ail : avec la panzanella, voici l’une des plus grandes réussites de l’art du sauçage incorporé."


Le résultat est délicieux, parfumé et moelleux – j’ai juste allongé le temps de cuisson sans couvercle par rapport à la recette initiale pour faire dorer un peu plus le poulet – et je ne vous raconte pas le goût complètement addictif des croutons à l’ail trempés de sauce à la sauge !

Au passage, cette recette m’a réconciliée avec le Römertopf (utilisé en guise de diable) , qui ne m’avait pas donné jusque-là des résultats convaincants. 

Poulet rôti au diable
Ingrédients pour 6 personnes
  • 1 poulet fermier d’environ 2kgs
  • Sel fin
  • 10 gousses d’ail
  • 6 feuilles de sauge
  • 3 ou 4 morceaux de pain rassis
  • Poivre
Une demi-heure avant de commencer, immerger la cocotte en terre avec son couvercle dans de l’eau froide.
Saler généreusement l’intérieur du poulet.
Peler une gousse d’ail (garder les autres en chemise) et la frotter sur les morceaux de pain rassis. Les glisser à l’intérieur du poulet avec les feuilles de sauge.
Mettre le poulet dans la cocotte, saler, ajouter autour les gousses d’ail en chemise. 
Fermer la cocotte et la mettre dans le four froid.
Allumer le four à 160°C. Laisser cuire pendant 2h30, en enlevant le couvercle la dernière demi-heure pour faire dorer. Poivrer en fin de cuisson.

21 comments:

amafacon a dit…

Qoi de meilleur ?

Rosa a dit…

J'en ai l'eau à la bouche!

Bises,

Rosa

Babeth De Lille a dit…

Vite un bout de pain!....

Jean-Michel 71 a dit…

Bonsoir,

Vous souvient-il, d'un réquisitoire de Pierre Desproges, au tribunal des flagrants délires, contre Robert Dhéry, où il fit l'éloge de Jonathan Sifflé-Ceutrin, le génial inventeur du pain pour saucer…
Je viens de le relire et je ris encore…
Il est facile de retrouver le texte sur le Net.

Jean-Michel 71

Michèle a dit…

Ce n'est pas l'heure, mais je me mettrais bien à table!!!

Carole a dit…

Quelle assiette bien appétissante !
Dans ma famille, le morceau de pain frotté d'ail, c'est sacré pour le poulet !
Bonne journée, bises.

Gracianne a dit…

Bien sûr Jean-Michel, c’est un classique – il est d’ailleurs cité par Mayalen dans son livre.

« Je pense qu'il est temps pour nous de nous rappeler Jonathan Sifflé-Ceutrin, qui est l'inventeur du pain pour saucer.
[…]
Jonathan Sifflé-Ceutrin, dont le bicentenaire des deux cents ans remonte à deux siècles, est né le 4 décembre 1782 à Saçufi-les-Gonesses, au cœur de la Bourgogne gastronomique, dans une famille de sauciers éminents.
[…]
Debout sur un tabouret, près des fourneaux de fonte où ronflait un feu d'enfer, il ne se lassait jamais de regarder son père barattant les jus délicieux à grands coups de cuillère en bois, tandis que sa mère, penchée sur d'immenses poêlons de cuivre rouge, déglaçait à petites rasades de vieux cognac le sang bruni et les graisses rares des oies du Périgord dont les luxuriantes senteurs veloutées se mêlaient aux graciles effluves des herbes fines pour nous éblouir l'odorat jusqu'à la douleur exquise des faims dévorantes point encore assouvies. »

C’était un grand gourmand notre Desproges. Au passage, si vous ne l’avez pas lu, je vous conseille, du même auteur, Encore des nouilles, un recueil de ses chroniques culinaires publiées dans Cuisine et Vins de France (et oui…) et illustré par Cabu, Catherine, Charb, Luz, Riss, Tignous et Wolinski.

lena sous le figuier a dit…

Bonjour Gracianne,

S'il est une table à laquelle je m'installerais volontiers, c'est bien la tienne! Je ne sais plus où est mon Römertopf...mais j'utilise de la même façon ma cocotte en fonte. Il sent bon jusqu'ici ton poulet...
je t'embrasse

Jean-Michel 71 a dit…

Merci de cette réponse fort documentée.

Il faut bien reconnaître que Jonathan, né au cœur de la Bourgogne gastronomique, descend d'une illustre famille cuisini-gastrono-gourmette puisque :

«…Son père était gribichier-mayonniste du roi, et sa mère, Catherine de Médussel, n'était autre que la propre fille du Comte Innu de Touiller-Connard…»

Quelque chose me dit que ma bibliothèque va bientôt s'enrichir des deux ouvrages évoqués dans votre billet et votre commentaire.

Belle fin de semaine,
Jean-Michel 71

Hélène Picken a dit…

C'est contre nature de ne pas saucer un plat en sauce. Je testerai ce poulet dans la semaine. La sauge ne manque pas au jardin. Bon week-end.

Gabriella a dit…

Ici aussi, les livres de Deproges et Zubillaga vont rentrer dans ma biblio et c'est même une idée de cadeau. Saucer ou tremper nous on aime !!
Merci Gracianne.

McdsM a dit…

Avec les doigts et plutôt deux fois qu'une !!!!
Biz

Marielle a dit…

Ouh lala, ça fait diablement envie ! autant ta description que celle de l'auteur.
Il faudrait que j'essaie le Römertopf, moi
bises gracianne

Hélène (Cannes) a dit…

Moi, il faudra que je trouve ce livre-là, surtout ... Pour le Römertopf, je m'en suis malheureusement débarrassée il y a quelques années ... Peut-être me serais-je, comme toi, réconciliée avec lui autour de cette recette ? ;-) Je me suis mise à la fonte ... ça devrait le faire aussi, non ?
Bisous et bon weekend
Hélène

Camille a dit…

Enfin une manière utile d'utiliser le pain rassis (j'ai des boîtes de chapelure à n'en plus finir et les lapins de la belle-mère ont des réserves de croutons pour un an).
Le livre a l'air très chouette.

Jean-Michel 71 a dit…

Bonjour,

Je suis en pleine découverte de l’opus de Pierre Desproges, œuvre à nulle autre pareille, «Encore des nouilles».
Pas surprenant que ses chroniques aient été publiées dans "Cuisine et Vins de France". En effet, n'est-ce pas Curnonsky, Prince élu des Gastronomes, qui a fondé cette revue en 1947 !
Et ce que Wikipédia m'apprend aussi : «En 1930, il fonde l'Académie des gastronomes et l'Académie de l'humour…»
Humour et gastronomie… une seule et même grande famille ! Pierre Desproges ne pouvait, dès lors, que partager le “sel” de ses recettes dans "Cuisine et Vins de France".

Mais, oh stupeur, je découvre, à la 4ème nouvelle, un autre patronyme du génial inventeur du pain pour saucer…
Il s’agirait de Jonathan Paxabouille !!! Le Maître n’est plus là pour chasser l’intrus voire l’usurpateur. Moult chercheurs, généalogistes et autres archéologues vont avoir fort à faire pour remonter aux origines de l’invention...
Car il faut bien que genèse se fasse…

Quand au recueil de Mayalen Zubillaga, je n'ai pas, loin s'en faut, encore réalisé toutes les recettes ruisselantes qu'elle y propose. Les anecdotes qui les illustrent sont déjà, en elles-mêmes, savoureuses. S'il me fallait en citer une, ce serait la "Frita". On y apprend l'umami, la cinquième saveur et on apprécie le bon sens, la sagesse de ce futur aphorisme : «D'un bon goût à un goût de revenez-y, il n'y a que quelques minutes de cuisson». À méditer !

Très bonne semaine,
Cordialement,
Jean-Michel 71

Gracianne a dit…

Jean-Michel, il va falloir que je ressorte mon exemplaire, j’avais loupé Jonathan Paxabouille, sans doute un piège de Desproges pour voir si ses lecteurs suivent bien.

Je suis ravie que vous vous régaliez vous aussi des textes de Mayalen, en attendant d’essayer ses recettes (et là, vous allez voir, vous n’allez pas être déçu non plus).
C’est si bon la frita – je me suis promis d’essayer sa version.

irisa a dit…

Merci Gracianne, Merci Jean-Pierre !
http://cuisinetcouleurs.canalblog.com/archives/2016/06/08/33933408.html

Gracianne a dit…

Hello Irisa, je vois que les adeptes de l’Art de saucer font des émules. Fort joli ce poulet rôti.

Anonyme a dit…

Il a fait le bonheur de la tablée du dimanche. Mon petit grain de sel, le pain à été haché avec le foie et le gésier, la gousse d ail et les feuilles de sauge. La sauce, divine, m'a obligé à saucer... aie aie aie. 😊

Gracianne a dit…

Ariane, huuummm, cette sauce, un vrai péché !

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